Les conseils de Tirésias
Quelques instants plus tard, Elpénor est de retour, accompagné du devin aveugle. Ulysse se présente à Tirésias, lui fait boire un peu du sang noir qu’il a apporté avec lui et l’interroge enfin sur l’avenir :
— Retournerai-je un jour chez moi ? Reverrai-je mes parents, mon épouse et mon fils ? Devrai-je affronter encore beaucoup d’épreuves ?
— Je ne puis répondre à toutes tes questions, lui répond Tirésias, car les devins eux-mêmes ne savent pas tout. J’ignore si tu reviendras un jour chez toi et si tu reverras ton père, ton épouse et ton fils. Je peux te dire cependant que tu reverras ta mère plus tôt que tu ne penses, et que des épreuves nombreuses te sont encore réservées par le Destin.
— Peux-tu me dire aussi, reprend Ulysse, ce que je dois faire pour les surmonter ?
Tirésias consent à lui donner quelques conseils.
— Si, au cours de ton voyage, tu débarques dans l’île du Soleil, qui appartient à, Apollon, prends bien garde de ne pas porter la main sur ses troupeaux de bœufs, auxquels il tient beaucoup. En le faisant, tu perdrais sa protection, dont tu as bien besoin. Car un autre dieu puissant, Neptune, te poursuit d’une haine implacable. Il dressera de multiples obstacles sur ta route : tu seras exposé aux séductions mortelles du chant des Sirènes ; il te faudra passer, par un étroit chenal, entre les rocs également redoutables de Charybde et de Scylla ; et tu devras, plus d’une fois, affronter d’effroyables tempêtes. Si tu m’en crois, essaie de te retirer dans un pays si éloigné de la mer que Neptune ne puisse t’y atteindre.
— Comment pourrai-je m’assurer que je suis hors de sa portée ? demande Ulysse.
— Prends un aviron sur ton épaule, répond Tirésias, et marche vers l’intérieur des terres. Lorsqu’un paysan, te voyant passer, te demandera si l’instrument que tu portes est un nouveau modèle de battoir à grain, tu pourras être sûr que tu es chez un peuple qui n’a jamais vu la mer et qui mange sa nourriture sans sel.
— J’y réfléchirai, répond Ulysse poliment ; mais il sait bien, au fond de lui-même, que jamais il ne vivra dans un pareil pays.